L’art des rations hautement fourragères

C’est quoi une ration hautement fourragère? Le sujet fait débat depuis plusieurs années, et il n’existe pas de définition universelle qui fait consensus. Tout le monde devrait toutefois s’entendre sur cet objectif : réussir à faire consommer un maximum de fourrages aux vaches sans pénaliser le niveau de production. 

Les temps sont difficiles et la pression financière est élevée sur les fermes laitières. L’une des solutions dans ce contexte est de tirer avantage du super pouvoir de vos vaches : la capacité de transformer vos fourrages en lait dans le réservoir. 

 Pour optimiser le plus possible ce pouvoir, il faut bien entendu inclure de grandes quantités de fourrages dans la ration. C’est quoi une ration hautement fourragère? Le sujet fait débat depuis plusieurs années, et il n’existe pas de définition universelle qui fait consensus. Tout le monde devrait toutefois s’entendre sur cet objectif : réussir à faire consommer un maximum de fourrages aux vaches sans pénaliser le niveau de production. Sauf que certains réussissent à faire consommer beaucoup plus de fourrages à leurs vaches que d’autres, et ce pour le même niveau de production. 

De multiples avantages

Quand on jette un œil à nos données, on constate qu’il y a une variabilité importante au niveau de la consommation de matière sèche des fourrages. Sans surprise, les producteurs qui réussissent à en donner plus ont de meilleures marges (Figure 1). C’est vrai autant pour les rations sans ensilage de maïs, que pour les rations qui en contiennent. 

Comment votre entreprise se compare à ces données? Pour le savoir, vous avez besoin des quantités de fourrages qui ont été pesés pour les vaches, ainsi que des pourcentages de matière sèche mesurés à l’aide d’un appareil Koster. Pour les balles rondes, on calcule un nombre de balles sur plusieurs jours, et selon les caractéristiques de la balle, on peut avoir une bonne estimation de la matière sèche qu’elle contient. Une fois que l’on connait la quantité de matière sèche, on ramène à des kg par vache et par jour. 

Figure 1: Effet de la consommation de fourrage sur la marge alimentaire chez nos clients avec ou sans ensilage de maïs (données de 2023 et prix du lait d’août 2023).

Les bénéfices ne s’arrêtent pas uniquement à la marge. Des chercheurs de l’état de New York[1] se sont intéressés à des cas réels de troupeaux travaillant avec des rations hautement fourragères. Ceux-ci ont demandé aux producteurs quels étaient les bénéfices qu’ils ont observés en ayant augmenté la quantité de fourrages dans la ration. Les réponses obtenues incluaient les éléments suivants : 

  • Amélioration de la marge alimentaire 
  • Diminution des achats de concentrés 
  • Amélioration des composantes du lait 
  • Moins d’acidoses et de maladies métaboliques 
  • Diminution des problématiques de boiteries 
  • Meilleure longévité et diminution du taux de réforme 
  • Diminution des frais vétérinaires 

Que font les meilleurs pour réussir?

Les producteurs qui réussissent bien ce type de ration ont souvent plusieurs points en communs. D’après nos observations, voici ce qui leur permet de maîtriser l’art des rations hautement fourragères : 

1. D’abord une question de philosophie 

Pour réussir à alimenter avec succès une ration hautement fourragère, il faut que le producteur et le conseiller en alimentation soient tous les deux convaincus de la stratégie et de son potentiel dans le troupeau. Si l’un ou l’autre n’est pas convaincu, la stratégie est vouée à l’échec dès le départ.  

2. Une rotation adaptée à vos objectifs 

À la base, c’est la rotation qui va déterminer quelles sont les quantités et la proportion des différents fourrages dans la ration. Assurez-vous que les quantités récoltées répondent à vos objectifs, et n’oubliez pas qu’avec des rations hautement fourragères, vous aurez besoin de beaucoup plus de fourrages. Le changement dans la ration doit se refléter dans la rotation. 

3. Des fourrages de qualité constante 

La quantité maximale de fourrage qu’on peut donner à une vache sans pénaliser la production dépend énormément de la qualité. Le point le plus crucial est la maturité. Pour une maturité optimale des mélanges fourragers, visez un ADF de 30 %. 

D’autres éléments importants à considérer : le niveau de matière sèche est-il optimal? Est-ce que vos fourrages sont propres, et contiennent 10 % de cendres ou moins? Faites-vous des andains larges pour maximiser la concentration en sucres? Est-ce que la teneur en protéines est satisfaisante? La fermentation est-elle optimale? Etc. 

Étant donné que les fourrages vont représenter une partie plus importante de la ration, il faut aussi essayer le plus possible d’avoir une constance dans la qualité. Les vaches ont besoin de stabilité dans la ration pour exprimer leur plein potentiel. 

4. Gestion serrée des inventaires 

Sur la ferme, c’est normal d’avoir aussi en inventaire des fourrages un peu moins riches en énergie et en protéines pour nourrir la relève et les vaches taries. Par conséquent, il faut entreposer séparément les fourrages de haute qualité afin de les réserver pour les vaches en lait. Chaque lot de fourrage doit bien être identifié, et éventuellement analysé. 

5. Des analyses de fourrages régulières 

Le niveau de matière sèche et la valeur nutritive des fourrages sont variables, même à l’intérieur d’un lot. Il faut donc analyser régulièrement ses fourrages pour s’assurer que la ration soit bien ajustée. 

Pour la valeur nutritive, on recommande au minimum une analyse par mois. Pour les grands troupeaux, ça peut être encore plus fréquent étant donné qu’un petit ajustement à la ration peut rapidement rentabiliser le coût de l’analyse. Au niveau de la matière sèche dans les ensilages hachés, l’idéal est de l’analyser une fois par semaine, ou quand le niveau de refus des vaches varie beaucoup. 

6. Une gestion de la mangeoire impeccable 

Si on veut que les vaches mangent beaucoup de fourrages, on doit leur donner les conditions pour le faire! Ça prend des aliments frais disponibles en tout temps, des repoussages fréquents, une longueur des particules adéquate, une bonne luminosité, etc. 

En conclusion, maîtriser l’art de servir une ration hautement fourragère ne se fait pas du jour au lendemain. C’est plutôt le résultat d’une gestion exemplaire de votre système fourrager, du champ jusqu’à la gueule de vos vaches.

[1] Chase, L. (2013, January). High Forage Rations for Dairy Cattle – How Far Can We Go? Ithica, NY; Cornell University Department of Animal Science.  Disponible pour lecture en anglaise en cliquant ici. 

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Par Jean-Philippe Laroche, agr., M. Sc.
La valorisation des fourrages par les ruminants est un sujet particulièrement passionnant pour Jean-Philippe, qui a grandi sur une ferme laitière. Diplômé en agronomie de l’Université Laval en 2018 et membre de l’Ordre des agronomes, il a également complété une maîtrise en sciences animales, durant laquelle il a reçu plusieurs distinctions.
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