Vers une solution abordable pour désigner un troupeau « nourri à l’herbe »?

Lactanet travaille sur un projet qui permettrait d’épargner les coûts de l’analyse par chromatographie en phase gazeuse (CPG) aux producteurs qui souhaitent mettre en œuvre la norme pour le lait de vaches nourries à l’herbe.

En 2019, les Producteurs laitiers du Canada (PLC) ont publié une nouvelle norme pour la production de lait de vaches laitières nourries à l’herbe.

Cette norme stipule que, pour qu’un troupeau puisse porter la désignation « nourri à l’herbe », les graminées ou le fourrage doivent représenter au moins 75 % de la consommation de matière sèche (CMS) du troupeau laitier tout au long de l’année, tandis que le reste peut être des suppléments et des céréales, y compris l’ensilage de maïs. 

La contribution de l’ensilage de maïs à la ration est censée être de 50 % sous forme de fourrage et de 50 % sous forme de grain, sauf si une analyse de laboratoire indique le contraire. Les vaches doivent avoir accès au pâturage au moins 120 jours par année pendant 6 heures par jour.

Afin de vérifier l’authenticité du lait de vaches nourries à l’herbe, les troupeaux nourris à l’herbe font l’objet d’audits réguliers. Les producteurs doivent également démontrer que le rapport entre l’acide linoléique (AL), un acide gras oméga-6, et l’acide α-linolénique (ALA), un acide gras oméga-3, dans le lait produit par leur troupeau nourri à l’herbe est inférieur ou égal à 3,5 au cours des 12 premiers mois de la certification, puis inférieur ou égal à 3 par la suite. 

Pour ce faire, des échantillons prélevés dans le réservoir à lait doivent être analysés par chromatographie en phase gazeuse (CPG) au moins six fois par année, ce qui peut s’avérer considérablement coûteux.

Nouveau système de contrôle

Afin d’offrir une solution de rechange abordable à l’analyse par CPG aux producteurs laitiers qui souhaitent mettre en œuvre cette norme, Lactanet a mené un projet pilote en 2019 et 2020. L’objectif était d’explorer la possibilité de déterminer, à l’aide des analyseurs de lait des laboratoires de Lactanet, le rapport AL:ALA à partir des échantillons prélevés dans le réservoir pour le paiement du lait. Cette analyse fournit déjà aux producteurs beaucoup de données sur leur lait et elle est nettement moins chère que l’analyse par CPG.

Les résultats encourageants du projet pilote ont ouvert la voie à un projet à plus grande échelle, qui a été mené entre 2021 et 2023 pour élaborer un système de contrôle permettant d’authentifier le lait produit par des troupeaux nourris à l’herbe. La pierre angulaire de ce système sera un modèle qui permettra de prédire le rapport AL:ALA à partir des échantillons prélevés régulièrement auprès des producteurs laitiers pour le paiement du lait.

Pour ce projet, on a recueilli chaque mois, entre juin 2021 et septembre 2022, des échantillons de lait du réservoir ainsi que des renseignements sur les rations auprès de 27 troupeaux nourris à l’herbe et de 13 troupeaux traditionnels dans 3 provinces canadiennes (Québec, Ontario et Nouvelle-Écosse).

Les principales composantes du lait, 74 acides gras et le rapport AL:ALA ont été déterminés pour les échantillons recueillis. Plusieurs algorithmes ont été évalués afin d’établir leur capacité à authentifier le lait de vaches nourries à l’herbe à partir d’échantillons prélevés dans le réservoir pour le paiement du lait. L’un de ces algorithmes, la régression des moindres carrés partiels, s’est avéré le plus fiable pour prédire le rapport AL:ALA, surtout lorsque la moyenne des mesures fréquentes sur une période donnée était calculée.

Quelques observations intéressantes

Par ailleurs, l’analyse des données sur la composition du lait a permis d’observer deux points intéressants : 

1. Seuil à optimiser

Tout d’abord, nous avons remarqué que les rapports AL:ALA du lait de plusieurs troupeaux traditionnels étaient fréquemment inférieurs à 3 tout au long de l’année, même si rien dans les rations de ces troupeaux n’indiquait qu’ils étaient nourris à l’herbe. 

L’analyse des biomarqueurs des valeurs AL:ALA suggère que le seuil actuel de 3 n’est peut-être pas optimal pour distinguer les troupeaux traditionnels de ceux nourris à l’herbe. Il pourrait donc devoir être revu à la baisse pour rendre le rapport AL:ALA plus à même de rejeter le lait d’un troupeau traditionnel en établissant qu’il ne provient pas d’un troupeau nourri à l’herbe, faisant ainsi du rapport AL:ALA un outil plus efficace pour distinguer les deux types de lait.

2. Nouveaux biomarqueurs à étudier

En ce qui a trait au deuxième point, la question était de déterminer s’il est adéquat d’avoir un seul biomarqueur pour authentifier le lait de vaches nourries à l’herbe et si nous devrions en rechercher d’autres. Pour rechercher d’autres biomarqueurs de ce type, des échantillons sélectionnés produits à l’automne et au printemps ont été soumis à une analyse chimique approfondie, et 60 métabolites ont été caractérisés.

L’analyse des résultats a révélé 13 métabolites significativement différents entre le lait produit par les troupeaux nourris à l’herbe et celui produit par les troupeaux traditionnels. Parmi ces métabolites, trois peuvent être liés au type de ration administrée. Ces observations suggèrent que d’autres biomarqueurs doivent être étudiés plus en détail afin d’évaluer leur capacité à authentifier le lait produit par des troupeaux nourris à l’herbe.

En résumé, le biomarqueur actuellement reconnu et utilisé pour authentifier le lait produit par des troupeaux nourris à l’herbe est le rapport AL:ALA. Or, notre récent projet a révélé qu’il est possible de prédire ce rapport avec une précision raisonnable à partir d’échantillons prélevés pour le paiement du lait puis analysés dans les laboratoires de Lactanet. 

Ce processus permettrait d’épargner les coûts de l’analyse par CPG aux producteurs qui souhaitent mettre en œuvre la norme pour le lait de vaches nourries à l’herbe.

De plus, d’autres molécules contenues dans le lait peuvent être associées au type de ration administrée, et leurs concentrations diffèrent considérablement d’un type de lait à l’autre.

Une autre leçon importante tirée de ce projet est que les échantillons de lait que nous prélevons régulièrement auprès des producteurs laitiers contiennent de l’information inexploitée qui pourrait fournir de nouvelles données s’ils font l’objet d’une analyse chimique plus approfondie et de techniques d’analyse des données plus avancées.

Ce projet est financé par l’entremise du Programme de développement sectoriel, en vertu du Partenariat canadien pour l’agriculture, entente conclue entre les gouvernements du Canada et du Québec.

 

Nous remercions les Producteurs laitiers du Canada (PLC), les Producteurs de lait du Québec (PLQ) et les Dairy Farmers of Ontario (DFO) pour le soutien financier offert dans le cadre de ce projet. 

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Par Mazen Bahadi, Ph. D.
Analyste de données