Les coûts et la rentabilité des programmes d’élevage au Québec

L’impact de l’élevage des génisses sur la performance productive et économique de l’entreprise laitière est indéniable. Malgré cela, les programmes d’élevage font rarement l’objet d’une évaluation complète, ce qui empêche les fermes d’identifier précisément les améliorations possibles pour réduire leurs coûts, améliorer leur productivité et, en définitive, pour maximiser leur rentabilité.  

Pour cette raison, Lactanet en collaboration avec l’Université Laval a mené un projet de recherche qui a eu comme objectif d’intégrer les données économiques aux mesures de croissance et de performance de lactation pour analyser les coûts et la valeur des programmes d’élevage au Québec en 2021. Pour cette étude, quatre-vingt-treize fermes québécoises, 87 sous régie conventionnelle et 6 sous régie biologique, ont été enquêtées et visitées. Tous les troupeaux étaient majoritairement composés par la race Holstein. Dans le numéro de septembre 2022 de cette revue, les résultats préliminaires de ce projet liés à l’analyse de maturité des génisses ont été présentés. Dans cet article les résultats saillants sur les coûts d’élevage et le profit à vie des troupeaux conventionnels seront résumés. 

Le coût d’élevage : un montant considérable et variable

Pour l’estimation du coût d’élevage, les données financières de l’élevage fournies par les conseillers en gestions des entreprises participantes ont été prises comme base. Par la suite, ces données ont été complémentées avec des informations obtenues à la ferme sur l’alimentation, la main-d’œuvre investie et autres détails de la régie des différents groupes d’animaux dès la naissance au premier vêlage.  Avec cette méthodologie, le coût d’élevage moyen par taure en 2021 a été estimé à 4 863 $, un montant significativement plus élevé que l’estimé de 4 300 $ obtenu avec la base de données Agritel pour la même année.  

Mais autre qu’un coût d’élevage plus élevé, un de constats saillants de l’étude a été la grande variabilité de ce coût entre les fermes participantes qui a été entre 3 521 $ et 7 207 $. Cette différence ne semblait pas d’être lié à la durée de la période d’élevage qui en moyenne a été de 24.1 mois. 

Comment cet investissement est réparti durant l’élevage?

Pour mieux comprendre comment les frais liés à l’élevage se répartissent durant les phases d’élevage et où des économies potentielles peuvent se faire, les coûts d’élevage ont été regroupés par strates d’âge et ventilés par catégories. Le graphique 1 montre cette répartition pour la médiane et le 20% plus bas du coût d’élevage par taure et par kilogramme de gain. Tel qu’indiqué dans le graphique 1A, les plus grandes proportions des dépenses sont encourues durant les périodes de présevrage (21% du coût d’élevage total), du sevrage aux 6 mois (13%), et de 18 mois jusqu’à la préparation vêlage (18%). Une raison de plus pour sélectionner les sujets de remplacement tôt dans le processus d’élevage. En partant avec une génisse d’une valeur moyenne de 177 $, près de 1 000 $ sont investis jusqu’au sevrage et plus de 3 000 $ pour la rendre à la saillie (15 mois). 

Les bandes foncées représentent la médiane et les bandes claires le rang centile 20 (la limite du 20 % meilleur) du coût d’élevage par strate d’âge 
GRAPHIQUE 1. RÉPARTITION DES PRINCIPALES DÉPENSES D’ÉLEVAGE PAR STRATE D’ÂGE PAR ANIMAL (A) ET PAR KILOGRAMME DE GAIN (B) POUR LES FERMES EN PRODUCTION CONVENTIONNELLE.

En considérant la croissance obtenue dans ces troupeaux, le coût du gain le plus bas a été observé dans les strates entre le sevrage et les 12 mois d’âge (graphique 1B), une période pendant laquelle le gain est élevé et le coût d’alimentation est bas en comparaison avec les autres strates, et de laquelle il faut profiter. Le coût du gain le plus élevé a été observé dans les strates de préparation vêlage et présevrage, deux périodes stratégiques pour prévenir des problèmes de santé et assurer le bon développement et la bonne performance de la génisse. Alors il n’est pas recommandé de couper dans la qualité de la nutrition ou la gestion offertes durant ces périodes clés, mais plutôt d’optimiser la performance des génisses et l’utilisation des ressources pour obtenir plus de gain pour chaque dollar investi. Pour y arriver, les possibilités d’utiliser de meilleurs aliments, des meilleures rations et d’améliorer l’efficacité du travail doivent être mises de l’avant. L’alimentation et la main-d’œuvre sont les dépenses les plus importantes (représentant 48% et 16% des coûts d’élevage respectivement) et elles représentent aussi la plus grande disparité observée entre la médiane et le 20% plus bas de l’échantillon. 

Le coût total d’élevage par hectolitre de lait produit

Il s’agit d’une des mesures les plus intéressantes pour évaluer le fardeau financier de l’élevage pour l’entreprise laitière, car elle considère différents indicateurs d’efficacité de l’élevage et la production de lait du troupeau. Pour les troupeaux conventionnels ce coût est estimé en moyenne à 15 $ /hl de lait produit, mais il a aussi été très variable entre les fermes (entre 9 et 28 $/hl). En considérant cette variabilité et les différents facteurs qui définissent ce paramètre, une analyse de corrélation a indiqué que l’inventaire de génisses relatif aux vaches (ratio génisses/vache) était le facteur influençant le plus le coût d’élevage total par hectolitre et que pour chaque 0,1 génisse/vache de plus (ou de moins) le coût d’élevage total par hectolitre augmente (ou diminue) de 1,8$/hl. La rationalisation de l’inventaire de génisses est donc une stratégie à considérer pour un bon nombre de producteurs de lait au Québec afin de réduire leur coût d’élevage total par hectolitre. 

La ligne bleu foncé représente la moyenne tandis que la ligne bleu pâle dénote le 20% des troupeaux qui ont remboursé les coûts de remplacement le plus rapidement après le premier vêlage. Les valeurs affichées correspondent au coût total d’élevage ($), coût net de remplacement ($), point d’équilibre (mois) et profit à vie ($). La valeur initiale à la naissance correspond au prix de vente moyen des veaux. Au premier vêlage, le revenu provenant de la vente de la vache à la réforme est enlevé du coût d’élevage pour estimer le coût net de remplacement. 
GRAPHIQUE 2. BILAN DE LA RENTABILITÉ DURANT LA DURÉE DE VIE POUR LES TROUPEAUX CONVENTIONNELS

L’élevage vu comme un investissement

Bien que du point de vue financier le remplacement est une dépense, pour avoir une vision plus complète de l’influence de l’élevage sur l’entreprise laitière et évaluer sa qualité il faut considérer la performance des taures une fois qu’elles rentrent dans le troupeau laitier. Pour cette fin, une analyse de rentabilité à vie a été faite avec les données de performance du contrôle laitier et le coût d’élevage spécifique à chaque troupeau en 2021. La rentabilité a été calculée comme étant la différence entre les revenus (pour la vente du lait et de la vache à la réforme) et l’ensemble des coûts de production. Le prix du lait et des coûts standards ajustés pour la production de composants ont été utilisés pour définir une marge nette durant la période de production, avec l’intention de mettre tous les troupeaux dans les mêmes conditions et être en mesure de faire une comparaison des fermes basée sur leur coût d’élevage et leur performance à vie.   

Le graphique 2 montre un portrait général du bilan de la rentabilité à différents moments de l’élevage et de la vie productive pour la moyenne des troupeaux conventionnels et du 20% meilleur parmi les troupeaux pour lesquelles les vaches ont remboursé leur coût de remplacement le plus rapidement après le premier vêlage. Cette mesure de classement permet de se concentrer sur le bilan entre le coût d’élevage et la performance des premières lactations qui reflète mieux la qualité des pratiques d’élevage. En moyenne, les vaches ont remboursé leur coût d’élevage à 43 mois d’âge et ont généré 5 188 $ de profit à la fin de leur vie productive. D’autre part les génisses du 20% des troupeaux qui remboursent leur coût d’élevage le plus rapidement, l’ont fait en moyenne à 37 mois d’âge grâce à un âge au vêlage plus hâtif (23 vs 24 mois), mais surtout à un moindre coût d’élevage et un revenu du lait plus élevé durant la première lactation. C’est à noter que la réduction des coûts pour ce groupe n’a pas été faite avant les 60 premiers jours de vie. Bien qu’aucune différence dans la durée de vie productive entre les deux groupes n’ait été observée, les fermes ayant remboursé leur coût d’élevage le plus rapidement ont eu 2 648 $ (50 %) plus de profit que le groupe moyen. Une autre preuve qu’il est possible de faire une bonne gestion des coûts pendant l’élevage tout en assurant une bonne performance au premier vêlage et une haute production à vie est possible.  

Les analyses se poursuivent encore et permettront d’identifier des pratiques spécifiques à considérer dans le but d’optimiser le coût et le retour économique de l’élevage. Pour le moment, les résultats de cette étude offrent un portrait plus clair des caractéristiques et des opportunités d’amélioration pour l’ensemble des programmes d’élevage. De même, il met en évidence la valeur de l’analyse des paramètres de l’élevage (p.ex : maturité, inventaire, production, etc.) dans la recherche des stratégies pour accroitre la rentabilité et la durabilité des fermes. Avec le suivi de quelques paramètres clés et un bon accompagnent, une version simplifiée et également efficace de cette analyse peut être faite dans chaque entreprise qui aimerait améliorer son élevage et sa rentabilité.    

Un rapport des résultats de cette étude et d’autres ressources sur l’élevage des génisses sont disponibles dans la section correspondante sur le site web de Lactanet. 

Remerciements :

Cette recherche a été menée avec la collaboration précieuse de Mme Léonie Laflamme-Michaud et de la professeure Édith Charbonneau, entre autres collaborateurs de l’Université Laval. Ce projet a été financé par le Programme de développement sectoriel, dans le cadre du Partenariat canadien pour l’agriculture, une entente entre les gouvernements du Canada et du Québec, et par une contribution des Producteurs de lait du Québec. 

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Par Rodrigo Molano, Ph. D. – PostDoc
Stagiaire postdoctoral, nutrition et élevage