La sélection génétique pour réduire le méthane (CH4)

Le changement climatique, occasionné par la hausse des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, est devenu une préoccupation mondiale. Un GES en particulier suscite plus d’attention par rapport aux autres : le méthane (CH4). Pourquoi y a-t-il un si grand intérêt envers les émissions de CH4 et quelles sont les stratégies pouvant être utilisées pour compenser ou réduire de telles émissions?

Le méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre (GES), est sous le feu des projecteurs pour deux raisons principales. Premièrement, il est responsable de près de la moitié du changement net de la température mondiale attribuable aux activités humaines au cours de la dernière décennie1. Deuxièmement, « pour limiter le changement climatique à venir, tout en atteignant un taux net d’émissions de dioxyde de carbone nul, des réductions fortes, rapides et soutenues des émissions de CH4 sont nécessaires, » affirment certains experts2. Même si l’industrie agricole n’est pas la seule source responsable de la hausse des émissions mondiales de CH4, elle a le potentiel d’atténuer cette hausse et de contribuer au refroidissement du climat en réduisant son taux d’émissions de CH41, un atout essentiel pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5oC d’ici 20503,4.

Comme indiqué dans notre article précédent, l’empreinte écologique de l’industrie laitière, le CH4 représentait 14 % des émissions de GES du Canada en 2020, dont 30 % provenaient du secteur agricole5. Lorsqu’on tient compte de tous les GES à la ferme et hors de la ferme associés à la production d’un kilo de lait dans les fermes laitières canadiennes, le CH4 semble être le plus grand contributeur à l’empreinte du lait, à près de 50 %. Cela provient principalement de la digestion (fermentation entérique) et, dans une moindre mesure, de la gestion du fumier.

La fermentation entérique fait partie du processus de digestion d’une vache pendant lequel les microbes et les bactéries décomposent les aliments, produisant des nutriments pour l’animal et du CH4 comme sous-produit. Ce CH4 est émis dans l’atmosphère lorsque la vache éructe, contribuant à l’empreinte carbone du secteur laitier et représentant une perte de 4 % à 7 % de l’apport énergétique brut pour l’animal6. Au Canada, le CH4 moyen produit par vache est d’environ 150 kg par lactation. La sélection génétique peut-elle être utilisée pour réduire ces émissions, lutter contre le réchauffement planétaire et améliorer l’efficience des bovins laitiers?

Utiliser la génétique pour réduire les émissions de méthane

L’utilisation de la génétique en vue de la sélection de vaches dont les émissions de CH4 sont réduites est une solution permanente et cumulative à la réduction des émissions de GES. Il est toutefois coûteux et difficile de mesurer le CH4, ce qui fait qu’il y a peu d’animaux avec des données sur le CH4. Cela a incité des chercheurs de l’Université de Guelph à envisager des méthodes alternatives pour prédire les émissions de CH4. Examinons les données de plus près :

Données collectées

Dans le cadre de projets de recherche connus sous le nom Efficient Dairy Genome Project (EDGP) et Resilient Dairy Genome Project (RDGP), voir http://www.resilientdairy.ca/), des chercheurs ont recueilli des données sur la production de CH4 qui seront utilisées comme population de référence potentielle pour l’estimation des évaluations génomiques. Cette collecte de données a été principalement effectuée au moyen d’un système GreenFeed qui mesure les flux de gaz, y compris le CH4, provenant d’animaux individuels chaque fois qu’ils se rendent à la mangeoire de l’appareil (Figure 1). Toutefois, cette méthode exige de la main-d’œuvre, et elle est coûteuse et infaisable dans des fermes laitières commerciales, faisant en sorte qu’il y a relativement peu d’animaux dont les phénotypes d’émissions de CH4 sont mesurés. Des chercheurs de l’Université de Guelph ont donc identifié une méthode alternative utilisant une approche liée à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique qui peut servir à prédire les émissions de CH4 sur une plus grande échelle pendant que la collecte des données sur les émissions se poursuit.

Figure 1. Système GreenFeed utilisé pour mesurer les flux de gaz, y compris le méthane provenant des animaux individuels.

Données prédites

La recherche a montré un lien entre la composition du lait d’une vache, notamment les acides gras, et ses émissions de CH4 en raison de leur relation avec la fermentation entérique. Ainsi, les données sur la composition du lait peuvent être utilisées pour prédire les émissions de CH4 d’une vache. Une technique appelée spectroscopie à infrarouge moyen (MIR) peut déterminer la composition chimique d’un échantillon de lait en mesurant l’absorption de la lumière par le lait. Cette technologie est déjà utilisée pour déterminer les composants du lait comme les pourcentages de gras et de protéine ainsi que le BHB dans les échantillons de lait. La base de données de Lactanet contient des millions de données spectrales MIR recueillies par le biais de nos services de contrôle laitier et de l’analyse des échantillons de lait en laboratoire. Par conséquent, la prédiction des émissions de CH4 à l’aide de données spectrales MIR du lait offre un grand potentiel et une grande disponibilité, alors que chaque analyse MIR d’un seul échantillon de lait produit plus de 1000 points de données. Lactanet a élaboré des prédictions du CH4 à l’aide d’un algorithme d’apprentissage automatique utilisant des données spectrales du lait et des données du CH4 collectées dans des troupeaux de recherche au Canada. En utilisant seulement des données de première lactation entre 120 et 185 jours en lait, la recherche a démontré que le CH4 prédit avait une corrélation génétique avec les données de CH4 recueillies de 85 % et une héritabilité relativement élevée de 23 %.

Évaluations de l’Efficience du méthane

Grâce aux données spectrales du lait, Lactanet peut prédire avec précision les émissions de CH4 de nombreuses vaches à un faible coût, rendant possibles les évaluations génétiques des émissions de CH4!

En soutien à l’objectif des Producteurs laitiers du Canada visant à atteindre la carboneutralité dans la production laitière à la ferme d’ici 2050, Lactanet lancera les toutes premières évaluations génétiques nationales visant à réduire les émissions de CH4 des bovins laitiers

À compter d’avril 2023, les évaluations génomiques en une seule étape du CH4 prédit émettront des Valeurs d’élevage relatives (VÉR) de l’Efficience du méthane dans la race Holstein, permettant aux producteurs d’effectuer une sélection en fonction de la réduction des émissions de CH4 sans sacrifier les caractères de production. Compte tenu de l’importante population de référence disponible, la fiabilité moyenne de l’Efficience du méthane pour les jeunes taureaux et les génisses génotypés dépassera le niveau de 70 %

Gardez l’œil ouvert pour d’autres détails sur ces évaluations à mesure que nous approchons de la mise en œuvre en avril!

Références :

  1. GIEC, 2021 : Résumé à l’intention des décideurs. Dans : Changement climatique : Les bases scientifiques physiques. Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu et B. Zhou (éds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York, NY, ÉU, pp. 3−32, doi:10.1017/9781009157896.001. Note de citation : se référer à la Figure RID.2, p.7.
  2. GIEC, 2021. Note de citation: se référer à l’énoncé D1, p.27.
  3. GIEC, 2021. Note de citation: se référer à l’énoncé D1.7, p.30.
  4. L’engagement mondial sur le méthane. https://www.globalmethanepledge.org/
  5. Environnement et changement climatique au Canada. 2022. Rapport d’inventaire national 1990-2020 : Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada. ECCC, Gatineau, QC, Canada. (No : En81-4E-PDF). https://publications.gc.ca/collections/collection_2022/eccc/En81-4-2020-1-fra.pdf. Note de citation : les nombres exprimés en estimations d’équivalent CO2 par secteur du GIEC, utilisant le quatrième Rapport d’évaluation du GIEC sur le Potentiel de réchauffement planétaire en 100 ans (1 pour CO2 fossile (0 pour carbone biogène), 25 kg CO2 éq/kg de méthane (fossile ou biogène) et 298 kg CO2 éq/kg d’oxyde nitreux).
  6. Benchaar, C. 2023. Stratégies nutritionnelles visant à atténuer les émissions de méthane entérique chez les vaches laitières : État des connaissances et nouvelles perspectives. Présentation au deuxième symposium virtuel du Centre de recherche et de développement de Sherbrooke, Agriculture et Agroalimentaire Canada, 24 janvier 2023.

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Par Hannah Sweett, Ph. D.
Hannah a découvert sa passion pour l'agriculture pendant ses études de premier cycle à l'Université de Guelph et grâce à son expérience professionnelle dans l'industrie laitière. Elle est titulaire d'un B.Sc. en biologie moléculaire et génétique ainsi qu’un doctorat en génétique animale axé sur l'amélioration génétique de la fertilité des bovins laitiers.