Le nouveau mode de paiement du lait: ça ne change pas le monde sauf que…

Vous êtes déjà informés de l’arrivée d’une nouvelle politique de paiement du lait depuis le 1er août 2021 pour les producteurs québécois.  Je ne reviendrai donc pas sur la justification de ce changement pas plus que sur les détails du calcul des nouveaux prix.   Je m’attarderai à l’impact que cela pourrait avoir sur les décisions quotidiennes des producteurs.

Des gagnants et des perdants?

Le graphique suivant est tiré de la vidéo de présentation du nouveau système disponible sur le site des Producteurs de lait du Québec.  On y compare le revenu du lait par kg de matière grasse (m.g.) en fonction du ratio des Solides Non Gras / Gras  (SNG/G).

La ligne bleue représente le système actuel alors que la ligne orangée celui qui a été mis en application en août 2021.  On constate que les ratios plus bas profiteront d’une augmentation significative de leur revenu en $/kg de gras alors que les ratios élevés verront leur avantage légèrement réduit. La différence du prix moyen reçu qui était de 0.93 $/kg de m.g. pour les producteurs affichant un ratio de 2,2 à 2,3 versus ceux affichant 1,9 à 2,0 sera ramenée à 0.49 $/kg selon cette simulation. 

Comment tout ça s’explique?

Le prix de la protéine pour la demande intérieure sera augmenté (ratio 2,0 et moins) alors que celui de la protéine excédentaire se verra réduit passablement en s’alignant sur les cours mondiaux (ratio 2.0 à 2.3).  Auparavant, tout était payé au même prix jusqu’au ratio maximum de 2.3.

Malgré ce changement, on constate que le revenu par kg de m.g. augmente encore jusqu’au ratio maximum de 2,3 où l’excédent en protéine et en lactose et autres solides (LAS) est payé à 0 $/kg.   Ainsi, pour une même quantité de matière grasse livrée, le producteur ayant un ratio SNG/G de 2,3 recevra un chèque de paie plus élevé que celui qui se situe 2,0. Dans ce cas, est-ce que ça vaut la peine de chercher à modifier la composition du lait qu’on livrera à l’avenir?

Faire ses devoirs

Je vous propose un petit exercice pour vérifier quelles seront les meilleures stratégies à adopter une fois la nouvelle politique de paiement en place.  Pour ce faire, j’ai bâti mes exemples en utilisant les prix du mois de mai pour l’Ontario où le nouveau système est en place depuis le 1er février 2021. 

La ferme Bordeleau possède un quota de 100 kg/jour.   Elle affiche un taux de m.g. moyen des livraisons de la dernière année de 4.15 kg/hl (ratio SNG/G de 2.20).  Même s’ils savent qu’ils auraient pu atteindre un taux moyen de 4.25 kg/hl (ratio SNG/G 2.16), les propriétaires ont calculé qu’avec la politique de paiement précédente leur chèque de paie aurait diminué d’un peu plus de 360 $ /mois en choisissant cette avenue.  Qu’en est-il avec la nouvelle politique de paiement?

Tableau 1.  Revenu net mensuel pour le lait livré, nouveau système1

 

Lait livré (l)

M.G.  kg/hl

Protéine kg/hl

L.A.S.   kg/hl

Ratio SNG/G

Revenu net total $

$/kg de gras livré

Situation actuelle

72 300

4.15

3.24

5.91

2.20

56 645

18.88

Taux de gras amélioré

70 600

4.25

3.28

5.91

2.16

56 525

18.84

1 prix mai 2021, Ontario

Le tableau 1 nous démontre que malgré des écarts de taux de m.g. de 0.10 kg/hl, la différence de revenu net est beaucoup moins élevée avec la nouvelle politique (120$ vs 360 $).  On le constate aussi lorsqu’on compare le prix par kg de m.g. livré :  l’écart n’est que de 0.04 $/kg de m.g.               

La question qui tue :  est-ce que les 120 $/mois gagnés en plus avec un ratio à 2.20 couvriront les frais pour produire les 1 700 litres supplémentaires ? À 35 litres par vache par jour, cela représente 1,6 vaches de plus avec le taux de m.g. le plus bas.  Quant à moi, je doute que ce 4 $/jour suffise pour couvrir les frais d’alimentation de ces vaches supplémentaires. Certains auront remarqué que le taux de protéine n’est pas identique sur les deux lignes. Cette situation reflète ce qu’on observe habituellement : le taux de protéine a tendance à évoluer dans la même direction que le taux de m.g.

Répétons maintenant l’exercice mais en situation de court terme.  En août 2021, la ferme comptait 70 vaches en lactation. Celles-ci produisaient une moyenne de 35 litres par jour.  Les propriétaires espéraient bien combler la journée additionnelle accordée. La chaleur et le taux d’humidité observés durant le mois ont eu un impact négatif sur la consommation des animaux et ceci s’est répercuté sur le taux de m.g. le faisant chuter de 0,15 kg/hl par rapport à la moyenne annuelle.  Le tableau 2 nous montre le résultat sur la paye de lait du mois.

Tableau 2.  Revenu net pour août 2021 pour le lait livré, nouveau système1

 

Lait livré (l)

M.G.  kg/hl

Protéine kg/hl

L.A.S.   kg/hl

Ratio SNG/G

Revenu net total $

$/kg de gras livré

Situation actuelle

73 500

4.00

3.15

5.91

2.26

55 530

18.89

Taux de gras amélioré

73 500

4.10

3.21

5.91

2.22

56 910

18.88

Ici la chute du taux de gras a eu un impact moins important sur le revenu du troupeau avec le taux amélioré car il y a plus de solides totaux pour le même volume livré. Malgré le recul de 0,15 kg/hl, le taux amélioré a permis de produire la journée additionnelle et un peu plus.  On l’aurait aussi fait dans la situation actuelle si le taux s’était maintenu à la moyenne annuelle. Disons simplement que la marge de sécurité était plus grande avec le taux amélioré.

Conclusion

La nouvelle politique de paiement du lait a réduit considérablement le revenu supplémentaire qu’apportait un ratio SNG/G élevé.  Effectivement le prix payé pour les solides non gras au-delà du ratio 2,0 a diminué comparativement à l’ancien système (-40% avec les prix utilisés dans notre exemple).  En plus, ce prix est appelé à fluctuer passablement selon l’humeur du marché mondial sur lequel il est aligné. Celui-ci connait une bonne période actuellement mais les choses bougent vite à ce niveau.  Il faut donc vérifier si la différence obtenue couvre réellement les coûts d’opérations additionnels liés à la production de ces solides non gras en surplus.  Si ce n’est pas cas, examinez ce que vous pouvez faire pour améliorer le taux de m.g. de votre troupeau de façon rentable et profitez-en pour réduire votre charge de travail.

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Par René Roy, agr.
Conférencier et auteur, René est agroéconomiste au sein de l’équipe innovation et développement de Lactanet depuis 2007 et a collaboré au développement de plusieurs formations pratiques, notamment Produire du lait et faire de l’argent et Nées pour faire de l’argent.