Profil d’acides gras du lait : que peut-on apprendre d’autre?

Depuis février 2020, le profil d’acides gras du lait de réservoir est disponible pour les producteurs de lait du Québec. Jetons un coup d’oeil sur ce qu’on a appris jusqu’à maintenant et ce qui s’en vient…

À chaque collecte de lait, il est maintenant possible de connaitre non seulement la composition régulière (gras, protéine, lactose et autres solides) et les cellules somatiques du troupeau, mais on peut aussi raffiner notre compréhension du métabolisme des vaches avec l’urée et les acides gras de novo, mixtes et préformés. Ces groupes d’acides gras ont aidé plusieurs producteurs à optimiser l’alimentation et la régie de leur troupeau, et on s’apprête à raffiner encore plus l’utilisation de ces nouveaux indicateurs.

PROFILab dans le lait de réservoir : ce qu'on a appris

1. Il y a une très grande variation entre les troupeaux

Les études américaines disaient que les troupeaux ayant une teneur en de novo plus élevée affichaient de meilleures performances. Les données québécoises vont partiellement dans le même sens, en démontrant clairement la relation entre les de novo et le gras ou la protéine du lait de réservoir. En effet, à chaque augmentation d’un dixième d’unités en de novo (0,10), le taux de gras augmente de deux dixièmes (0,20). Le lien avec la protéine vraie est aussi très clair : à chaque augmentation de 0,10 sur l’échelle des de novo, la protéine vraie augmente de 0,12 unité.

Nos données québécoises de quelques milliers de troupeaux révèlent aussi une très grande variation des profils d’acides gras dans nos fermes. Parmi les facteurs qui ont le plus d’impacts sur le profil d’acides gras, notons la race des vaches.

Les différents groupes d’acides gras sont plus élevés dans le lait des troupeaux à prédominance jersey, particulièrement les de novo et les mixtes. Plus précisément, la quantité d’acides gras de novo présente dans les troupeaux jerseys est à environ 1,3 g/100 g de lait, alors que les troupeaux holsteins sont plus autour de 1,05 g/100 g de lait, tandis que les autres races se situent au milieu. Il est à noter que pour chacune des races, il existe une grande variation entre les troupeaux, qui s’explique probablement en grande partie par la composition de la ration, le comportement alimentaire des vaches et la gestion du troupeau.

2. Les troupeaux très performants affichent une teneur en de novo dans la moyenne

Plusieurs croient à tort qu’il est « normal » que les troupeaux très performants aient des de novo sous la moyenne, par un effet de dilution lié à la production de lait supérieure à la moyenne. C’est partiellement vrai, mais la différence entre les troupeaux performants et les troupeaux moyens est très minime.

Pour l’illustrer, la Figure 1 présente la distribution des profils d’acides gras de 3 300 troupeaux holsteins conventionnels. Les troupeaux ont été catégorisés selon leur production annuelle; la boite rouge représente les troupeaux dans le 10 % inférieur en termes de production, la boite orange représente les troupeaux se situant entre le 10e et le 80e percentile (26,6 à 37,9 kg lait/vache/jour), la boite verte représente les troupeaux du 10 % supérieur (37,9 à 40,7 kg de lait) et la boite bleue représente les troupeaux les plus performants (maximum 2 %; plus de 40,7 kg de lait/vache/jour).

FIGURE 1 : LES TROUPEAUX PERFORMANTS EN LAIT (KG/VACHE/JOUR) FONT AUTANT DE DE NOVO QUE LA MOYENNE

Comme l’indiquent les valeurs sous le graphique, oui les troupeaux « bleus » semblent indiquer une teneur moins élevée en acides gras de novo dans leur lait, mais cette différence est d’environ 0,01 g/100 g de lait en moyenne, donc frôlant la moyenne présentée sur le rapport PROFILab. Si on fait le même exercice, mais en catégorisant les troupeaux selon leur performance en kg de gras/vache/jour, on obtient encore une fois le même résultat : les meilleurs troupeaux affichent autant de de novo que la moyenne. La variation entre les troupeaux d’une même catégorie de production est plus importante que la variation entre les différentes catégories.

Une étude est en cours pour tenter de mieux comprendre les facteurs expliquant cette grande variation, surtout ceux liés à l’alimentation, la régie et l’environnement du troupeau, parmi 100 troupeaux au Québec.

Comment comprendre la « boîte à moustaches »?

Une boite à moustache permet de visualiser la variation d’un groupe de données, dans ce cas-ci d’un groupe de troupeaux. Ainsi, dans cet exemple, la boite bleue représente 50 % des troupeaux, soit tous les troupeaux qui se situent au « milieu » du groupe. Les barres verticales au-dessus et en dessous permettent de visualiser les troupeaux se situant plus aux extrémités, respectivement les troupeaux présentant les valeurs les plus élevées et ceux présentant les valeurs les plus faibles.

PROFILab dans le lait de réservoir : ce qui s'en vient

Le profil en acides gras du réservoir s’est avéré très utile pour plusieurs producteurs afin d’optimiser l’alimentation et la régie du troupeau, ou pour mieux comprendre le métabolisme des vaches et les performances. Notre compréhension de ce nouvel indicateur sera de plus en plus précise avec l’utilisation, et il deviendra sans aucun doute très intéressant d’utiliser le profil d’acides gras pour prévoir un changement dans les composants, avant que le gras ou la protéine changent.

À titre d’exemple, la Figure 2 présente le profil d’un troupeau à l’été 2019, où on remarque les changements importants quant au profil d’acides gras en juillet et aout. Le premier changement en début juillet est dû à une mobilisation de réserves corporelles après un bris d’équipement lié à l’alimentation. Le deuxième changement, qui survient le 5 aout, a un impact majeur sur le profil d’acides gras, mais sans influencer le gras et la protéine. Un peu plus tard, en aout, la même ampleur de changement que celui de juillet, mais cette fois-ci pour une durée plus prolongée, amène un chamboulement des composants et une chute du taux de protéine, qui prendra plusieurs semaines à se rétablir. Est-ce que PROFILab nous aurait permis d’éviter cette chute? Possiblement, ou du moins l’atténuer.

FIGURE 2 : EXEMPLE D’ALERTES EN COURS DE DÉVELOPPEMENT, LIÉES À DES CHANGEMENTS DANS LE PROFIL D’ACIDES GRAS

Dans les projets très prochains : émettre une alerte quand le profil d’acides gras change, pour permettre au producteur et ses intervenants de réagir plus rapidement et prévenir ces impacts désastreux, en utilisant aussi de nouvelles et puissantes techniques analytiques, comme l’apprentissage automatique.

Également dans la mire : prédire l’efficience alimentaire et la production de méthane des vaches en lactation, et identifier les biomarqueurs confirmant les troupeaux de vaches nourries à l’herbe. À suivre…

PROFILab dans le lait de réservoir : un aperçu de ce qui se prépare

Observer le profil d’acides gras du troupeau est fort intéressant pour un suivi régulier de ce qui se passe dans l’étable. Par contre, les vaches à l’intérieur d’un groupe ou d’un troupeau ont chacune leurs particularités et avoir un indicateur au niveau de la vache individuelle pourra devenir très utile dans plusieurs contextes. Par exemple, on sait que le stade de lactation a un impact très important sur le profil en acides gras du lait. En tout début de lactation, près de 50 % des acides gras du lait proviennent de la mobilisation des réserves corporelles, ce sont des acides gras préformés.

Simultanément, le rumen ainsi que la glande mammaire sont encore en train de s’adapter au statut de lactation, les acides gras de novo (fabriqués dans la glande mammaire) ne sont donc pas encore maximisés. Les acides gras mixtes, mélange des deux sources précédentes, suivent habituellement les acides gras de novo en début de lactation. Selon les données que nous avons recueillies dans les dernières semaines au Québec et conformément à ce qu’on aperçoit ailleurs dans le monde, la majorité des changements dans le profil d’acides gras semble se produire durant les 75 premiers jours en lactation, environ, et les proportions sont plus stables par la suite.

Ainsi, l’évolution des différents groupes d’acides gras des vaches en début de lactation peut révéler une panoplie d’informations très utiles pour maximiser le succès de la transition et les performances des vaches de nos troupeaux. Quelques exemples concrets incluent ce qui suit.

  1. Évaluer la mobilisation de réserves corporelles

    Les vaches en début de lactation ont un bilan énergétique négatif, et très souvent ont recours à l’énergie stockée dans leurs réserves corporelles pour répondre à la très forte demande de nutriments nécessaires pour la production de lait. C’est un phénomène naturel et connu, mais il est souvent difficile d’estimer l’ampleur de la mobilisation de réserves corporelles. Le profil d’acides gras du lait peut servir à estimer cette mobilisation. De plus, en lien avec l’analyse de corps cétoniques dans le lait – dont le β-hydroxybutyrate (BHB) mesuré grâce à Cétolab ou grâce aux tests sanguins –, le profil d’acides gras du lait permettrait d’avoir un meilleur aperçu de la façon dont les vaches gèrent cette grande demande de nutriments en début de lactation afin d’apporter des mesures de correction à la régie et l’alimentation de la période de transition si nécessaire.

  2. Estimer la perte de poids des vaches

    Comme décrit dans la section précédente, les vaches en début de lactation mobilisent des réserves corporelles, ce qui a comme résultat d’augmenter la proportion d’acides gras préformés dans le lait. Grâce à la composition des différents acides gras et groupes d’acides gras et en lien avec d’autres composants comme le gras total et le BHB, il est possible de prédire la perte de poids de la vache, et donc de mieux réagir pour éviter la mobilisation excessive qui aurait des impacts négatifs sur la reproduction et éventuellement la carrière de cette vache dans notre troupeau.

  3. Prédire les risques d’acidose ruminale

    Mesurer ce qu’on ne peut voir à l’oeil nu, par exemple le pH ruminal, voilà une application intéressante du profil d’acides gras du lait. Les validations sont en cours grâce à un projet qui allie les chercheurs d’Agrinova et de l’Université Laval, et si le potentiel de prédiction de pH ruminal s’avère précis, il serait alors possible d’utiliser les acides gras pour évaluer les risques d’acidose et potentiellement prévenir des impacts plus graves en optimisant les transitions des vaches en début de lactation tout particulièrement. 

Des outils en développement

Bien que déployés depuis quelques mois au Québec, de nouveaux outils de régie ou indicateurs sont en cours de développement et devraient voir le jour prochainement au Québec. Collectivement, ces outils utilisant les acides gras du lait provenant du réservoir ou de la vache individuelle devraient permettre de raffiner notre alimentation et la régie pour pouvoir maximiser l’efficacité et la santé de nos vaches de toutes races, et d’assurer un suivi rigoureux de chaque vache en lactation parmi un troupeau. 

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Par Débora Santschi, agr., Ph. D.
Avec ses talents de vulgarisatrice et sa passion de la production laitière, Débora est une conférencière fort convoitée, tant au Québec qu'à l'échelle internationale. Parallèlement à son rôle de directrice de l’équipe ID chez Lactanet, elle est professeure associée aux départements des sciences animales des universités McGill, Laval, Manitoba ainsi que de la Faculté de médecine vétérinaire (Université de Montréal).
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