Valeur de la classification pour la conformation dans l’ère de la génomique

De nombreux chercheurs partout dans le monde ont déclaré que « le phénotype est roi! » dans cette ère de la génomique. Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Au Canada, ce sujet a suscité de récentes discussions, particulièrement en ce qui concerne la valeur des données de classification pour la conformation. Au Réseau laitier canadien (CDN), nous avons examiné de plus près les principales questions posées par les éleveurs pour être en mesure de préciser la valeur des génotypes par rapport aux phénotypes (données de performance) dans le contexte actuel de la sélection des bovins laitiers.

Qu’est-ce qui a changé?

Avant l’arrivée de la génomique il y a dix ans, les compagnies d’I.A. avaient pour objectif de maximiser le nombre de nouveaux jeunes taureaux offerts aux éleveurs chaque année. Le principe sous-jacent consistait à offrir le plus grand nombre possible de jeunes taureaux de qualité dans le but d’augmenter les chances d’obtenir les meilleurs taureaux éprouvés d’élite quatre ans plus tard. Pour encourager une utilisation suffisante de la semence de jeunes taureaux, différents programmes incitatifs ont été offerts aux éleveurs, avec pour résultat qu’environ 30 % de la semence de jeunes taureaux était utilisée par rapport à une utilisation de 70 % de la semence de taureaux éprouvés. De plus, les éleveurs examinaient individuellement chaque jeune taureau, non seulement son potentiel génétique représenté par sa Moyenne des parents, mais aussi certains détails comme la lignée de taureaux dans sa généalogie ainsi que la force de la lignée maternelle, incluant les résultats de production et de classification. Pour maximiser le nombre total de jeunes taureaux testés chaque année, l’utilisation totale de la semence de chaque jeune taureau était limitée en vue de l’obtention de 100 à 150 filles qui auraient éventuellement des résultats de performance en première lactation pour la production et la conformation. Au sein de l’industrie, les services d’amélioration de la race comme l’enregistrement au livre généalogique, le contrôle laitier et la classification pour la conformation étaient fortement conseillés et encouragés auprès de chaque éleveur dans l’ensemble du pays.

Dans l’ère de la génomique, la réalité est que la Moyenne des parents a été remplacée par la Moyenne des parents génomique et que la Fiabilité moyenne de ces prédictions génétiques a doublé pour maintenant dépasser 70 % dans la race Holstein. Cette hausse marquée de la précision de l’information génétique des plus jeunes animaux dans la race a entraîné une énorme tendance à la baisse de l’âge moyen des parents, à la fois le père et la mère, des nouveaux jeunes taureaux offerts aux éleveurs canadiens par les compagnies d’I.A. Puisque la tendance vers des parents plus jeunes n’a pas été associée à une perte de précision de la sélection, les taux de progrès génétique réalisé au Canada ont plus que doublé avec la génomique. La supériorité génétique relative des jeunes taureaux génomiques par rapport aux taureaux éprouvés disponibles en même temps a fait en sorte que la part du marché détenue par chaque groupe est maintenant inversée, les jeunes taureaux en détenant 70 % et les taureaux éprouvés 30 %.

Données de performance des mères de taureaux en I.A.

Une conséquence de la réduction de l’intervalle entre les générations des jeunes taureaux génomiques offerts par les compagnies d’I.A. est la baisse de la possibilité que les données de performance soient incluses dans les évaluations génétiques disponibles pour leurs parents. Il arrive souvent que les pères des jeunes taureaux génomiques ne soient pas encore éprouvés lorsque la semence du fils est mise à la disposition des éleveurs, et le recours croissant de la fertilisation in vitro (FIV) chez les jeunes génisses fait en sorte que de plus en plus de mères n’ont pas encore vêlé en vue de leur première lactation. Puisque les éleveurs se questionnent sur l’impact de telles données de classification de la mère sur la précision des évaluations génomiques du fils, CDN a procédé à une analyse précise visant à aborder cette question.

L’analyse était axée sur des taureaux génomiques Holstein qui ont été activement commercialisés au Canada et qui sont nés entre 2015 et 2017, ce qui représente les années de naissance les plus récentes. Un élément essentiel au sujet de ces taureaux est que ≈30 % d’entre eux sont nés au Canada, alors que les autres sont nés dans d’autres pays, surtout aux États-Unis. Cela est important puisque CDN utilise seulement les données de classification au Canada pour calculer les évaluations génétiques, ce qui signifie que 70 % de tous les jeunes taureaux commercialisés au Canada ne seraient pas touchés par des données de classification étrangères qu’ils pourraient avoir dans un autre pays. La Figure 1 indique le pourcentage de ces jeunes taureaux en I.A. nés au Canada à l’intérieur de chaque année de naissance dont la mère a actuellement des données de classification à CDN. Pour les taureaux nés en 2017, environ 60 % ont maintenant une mère classifiée et ce pourcentage augmente par année de naissance pour atteindre 79 % chez les taureaux nés il y a plus de trois ans en 2015. Ces statistiques démontrent que les mères des taureaux en I.A. continuent généralement d’être classifiées lorsqu’elles sont en première lactation, mais suggèrent aussi qu’une portion pouvant aller jusqu’à 20 % peut ne pas être classifiée au Canada, pour une raison ou une autre. Cette tendance est décevante pour les éleveurs canadiens qui souhaitent avoir dans leur troupeau des génisses et des vaches dont les généalogies contiennent des données de production et de classification complètes, à la fois du côté maternel et paternel.

L’analyse de CDN a aussi permis d’étudier l’impact du manque de données de classification des mères sur la précision de l’évaluation génomique de la Conformation de leurs fils. Parmi les 275 taureaux nés au Canada ayant fait l’objet d’une analyse, ceux dont la mère était classifiée ont obtenu une évaluation de la Conformation avec une Fiabilité affichant 1,3 point de pourcentage de plus par rapport aux taureaux dont la mère n’était pas classifiée. Les deux groupes de taureaux ont réalisé le même gain pour la Fiabilité de la Conformation avec la génomique, obtenant une moyenne de 34,5 pour atteindre respectivement 77 % et 76 %, chez les taureaux dont la mère était ou n’était pas classifiée.

« Le phénotype est roi? »

Donc, si la classification de la mère d’un taureau a si peu d’impact sur la précision de l’évaluation génomique de son fils, pourquoi la classification pour la conformation est-elle importante? Pourquoi les chercheurs soutiennent-ils que le « phénotype est roi? ». On peut répondre à cette question de deux façons.

Premièrement, de façon générale, la précision de tout système d’évaluation génomique dépend de la collecte continue de données de bonne qualité (phénotypes) sur une base continue. Même après l’élaboration et la mise en place d’un système d’évaluation génomique, de telles données phénotypiques sont requises d’une année à l’autre pour que les prédictions génomiques demeurent pertinentes.

La deuxième raison de la collecte de phénotypes est plus spécifique au troupeau de chaque éleveur. Chaque génisse née à la ferme débute avec une Moyenne des parents représentant la première estimation de son potentiel génétique. Cette estimation du mérite génétique d’un animal sert d’indicateur de ceux dont le niveau de performance devrait être le plus élevé dans le troupeau en lactation. Après la naissance, il y a deux façons d’améliorer la précision de cette première estimation. En soumettant une génisse au génotypage, sa Moyenne des parents (MP) peut être remplacée par sa Moyenne des parents génomique (MPG). Toutefois, au cours de sa vie, la mesure de la propre performance de chaque animal contribue aussi à estimer son mérite génétique, qu’il ait été génotypé ou non. Par exemple, faire classifier tous les animaux en première lactation dans votre troupeau entraîne des changements dans leur indice en Conformation puisqu’ils passent d’une Moyenne des parents (MP) à une Valeur d’élevage estimée (VÉE). La Figure 2 indique la distribution des changements qui se produisent en Conformation lorsqu’une génisse MP devient VÉE après avoir été classifiée en première lactation. La moitié de toutes les génisses subissent un changement d’au moins 1 point à la hausse ou à la baisse une fois qu’elles ont été classifiées, et certaines obtiennent jusqu’à ±8 points dans leur évaluation génétique en Conformation. Le fait de classifier les vaches de votre propre troupeau reclassera vos vaches et vos familles de vaches, ce qui peut avoir une incidence importante sur vos décisions de remplacement et d’élimination de génisses.

Figure 2 : Distribution du changement dans l’indice en Conformation en ajoutant la propre classification d’un animal (sans la génomique)

Comme prévu, si les génisses sont génotypées et si la MP est remplacée par une MPG, l’ajout de leur phénotype de classification en première lactation a alors moins d’impact que la distribution indiquée à la Figure 2. Cela étant dit, il y a encore 20 % des génisses qui subissent un changement dans leur indice en Conformation qui se chiffre à 2 points ou plus.

Sommaire

La génomique a changé beaucoup de choses associées aux schémas de sélection des bovins laitiers. La génétique offerte par les compagnies d’I.A. par le biais de leurs jeunes taureaux génomiques a atteint des sommets incroyables entraînant (a) un accent sur la réduction des intervalles entre les générations, (b) le doublement de la part de marché de la semence occupée par les jeunes taureaux et (c) plus du double du taux annuel de progrès génétique. Ces changements importants ont aussi mené à la diminution de l’information complète disponible dans les généalogies des jeunes taureaux par rapport aux décennies précédentes, notamment les données de performance des mères de taureaux. Même si cette tendance est indésirable du point de vue de l’intégralité de la généalogie pour les filles résultantes, l’impact sur la précision des décisions de sélection est mineur. D’autre part, les propriétaires de troupeaux doivent comprendre les avantages et la valeur de la poursuite de la collecte de données de performance, comme la production et la classification, pour leur troupeau en lactation. Ces données servent à valider et/ou à améliorer les prédictions des évaluations génétiques utilisées pour prendre d’importantes décisions en matière de sélection et d’accouplement.

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Par Allison Fleming, Ph. D.
Allison aime partager ses connaissances du domaine de l'amélioration génétique des bovins laitiers pour aider à bien comprendre et bien utiliser les outils de sélection génétique.
Par Brian Van Doormaal